Tout Etat dispose de services oeuvrant en marge du droit et conséquemment de façon secrète, voire clandestine ou masquée. Monde de l’ombre nécessaire, ils sont le bras damné des intérêts de la nation lorsque les moyens classiques ne sont pas jugés adaptés. Mais entre eux et nous existe un opportun brouillard. Ce dernier protège non seulement les agents mais aussi nos intérêts. Si l’on peut incontestablement accrocher le drapeau tricolore à une action inavouable, c’est tout le pays qui est mis en cause. C’est aussi pourquoi un humanitaire allemand vadrouillant au Pakistan peu très bien être un agent du supposé service élimination de la DGSE.
Mais parfois ce sacré Murphy nous a à la bonne et tout foire. Au point que les agents se font pincés et leur organisation démasquée. Ainsi, la baie de cochons, le Rainbow Warrior, ou l’opération colère de Dieu à Lillehammer en 74 par le Mossad, sont de cuisants échecs ou les commanditaires sont clairement identifiés. Si par malheur on ne peut pas régler ces affaires entre professionnels, le fiasco est mis sur la place publique il ne reste plus que le « déni plausible ».
Par cette formule, l’on désigne la légère incertitude, le flou décisionnaire, le voile impalpable, qui fait que l’on ne peut prouver formellement l’implication directe et réfléchie du sommet de l’Etat. C’est notamment Richard HELMS, le sulfureux mais réputé directeur de la CIA de 66 à 73 qui a théorisé cela afin de «sauter» à la place du Président en cas de coup dur. Même si l’on s’en doute fortement, l’on ne peut en effet prouver que Mitterrand a ordonné l’opération Satanic sur Oakland ni que Kennedy ou Ike aient vraiment autorisé l’invasion de Cuba. C’est subtil mais ainsi on fait plus que sauver la face, on évite le casus belli qui forcerait l’adversaire à réagir violemment sauf à lui-même faire aveu de faiblesse. C’est peut-être toute la différence entre la paix et la guerre…
On expose assurément que quelqu’un, quel que part, a pris une mauvais initiative…L’absence d’écrit et de lien organique conforte cela. Un militant a perdu la vie, Hernu y a perdu sa place, Mitterrand quelques points dans les sondages… La collectivité a ainsi été protégée. Car que ça nous plaise ou non, notamment en ce moment, le Président fait plus que nous représenter, il nous incarne. Si on attrape sa main dans le pot de confiture on risque la punition collective.
Or, en créant le poste de "Coordonnateur du renseignement" directement rattaché à la présidence, Nicolas Sarkozy dissipe ce mince brouillard. On lui a bien dit quels étaient les risques, à cela il a répondu «de toute façon ça me retombera dessus alors…». Formule caricaturalement sarkoziste prouvant une nouvelle fois que le monde gravite autour de son nombril et certainement pas autour de celui de son premier Ministre pourtant institutionnellement responsable de ces questions. Il a de surcroît confié ce poste à Bernard Bajolet qui passe pour une pointure, ce qui abat encore plus l’ultime rideau défensif que constitue le déni plausible car personne ne croira que ce type s’est fait manipulé ou écarté.
A la prochaine bavure, cela ne sera pas une erreur des services mais un crime d’Etat.
De plus, la mainmise d’un seul homme sur l’ensemble du dispositif de renseignement est un danger qu’il est inutile de préciser surtout si le Président manifeste un sens de l’Etat et une éthique irréprochable comme Nicolas Sarkozy… Tous les régimes, y compris les moins démocratiques, craignent cette concentration des pouvoirs et organisent un précaire système de surveillance mutuelle. Ajoutons que le cloisonnement des bases de données, des informations et les différences de culture sont plus gages de sécurité et d’efficacité que de ratés. Le 11 septembre n’aurait certainement pas été évité si CIA et FBI avaient fusionné. Ce sont des blocages internes aux bureaucraties de chacune des structures de sécurité qui ont, entre autre chose, empêchés une bonne exploitation des informations disponibles.
S’il est bien un sujet ou il est irresponsable de laisser notre superman jouer les Matamores c’est bien les opérations clandestines. C’est à la vieille garde de l’armée, de l’ex DST et du quai d’Orsay de garder la boutique en attendant qu’un Président raisonnable remette les choses d’aplomb.
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